« Est-ce que... » - Je laisse le verre vide pour venir poser mon regard sur Aidan. - « Ok, je sais que c’est censé être la soirée où tu me remercie et tout, et que du coup tout est à tes frais mais… Est-ce que tu permettrais que je t’offre un milkshake ? Si t’as encore de la place pour un dessert… » - Un sourire vient alors élargir mes lèvres, un sourire franc, sans nuance ni fioriture, et j'acquiesce. - J'ai toujours de la place. Mais si c'est la même pour toi, y'a un parc pas loin. On peut prendre les milkshakes ici et aller se balader avec là-bas? - C'est pour digérer, clairement, avant d'aller à l’hôtel. C'est aussi une façon de poursuivre tranquillement cette petite soirée, et surtout, tout le brouhaha ambiant commence à doucement me taper sur le système et à compresser mon crâne. Le calme d'un espace vert me fera le plus grand bien, et fort heureusement, Aidan accepte.

Alors comme convenu, et après avoir fait un passage par les toilettes pour autant éliminer la bière que pour me laver les mains de cette graisse dont l'odeur imprègne malheureusement mon maillot, je paye le repas et il paye mon milkshake, et nous quittons le dinner.
Le sac à dos sur les épaules, le milkshake bien frais dans la main, je tire un peu sur la paille et m'en lève les babines une fois le lait glacé passé dans ma gorge. - Hmm... C'est bon ça aussi. - Et puis c'est frais, ça aide à digérer. C'est important. Il ne nous faut pas longtemps pour rejoindre le parc, il n'est pas si loin, et lorsque nous arrivons devant les grilles fermées, après tout il fait nuit, je ne me laisse pas démonter. - Oh c'est pas une petite serrure qui va nous arrêter. - Ça devrait, mais non. Une fois mon grand gobelet donné à Aidan, je sors de mon sac mon set de crochets et emploi ce qu'il me faut pour crocheter cette serrure et ouvrir la grille. - Au moins, on sera tranquille ici.

Tirant sur la paille à nouveau lorsqu'Aidan me rend mon milkshake, je referme la grille du pied en vérifiant que personne ne nous a vu. J'aurais pu nous téléporter à l'intérieur, mais je sais qu'Aidan n'est pas vraiment habitué, alors j'ai préféré lui épargner un déplacement non nécessaire.
Les lampadaires sont éteints, la flore est plongée dans la pénombre, et seule la lueur lunaire éclaire notre chemin. Dans notre dos, lointain, le son de la rue se fait de plus en plus assourdi. - Oh, regard, on a peut se poser là. - Proposé-je en désignant un carré d'herbe clairsemé au bord d'un espèce de minuscule étang. - Promis, y'a vraiment un hôtel. J'ai pas prévu de te faire dormir à la belle étoile.

« Tu te balades vraiment toujours avec des crochets sur toi ?.. » - Toujours. Y'en a qui ont un briquet, un couteau ou une lampe, moi j'ai mes crochets. - Et j'ai aussi le briquet, le couteau et la lampe, mais ça c'est juste du matériel de survie. Déformation professionnelle, que voulez-vous.

Enfin bref, l'herbe nous tend les brins, et je me laisse tomber à quelques mètres du lac avant d'être rejoins par Aidan pour le rassurer sur l'existence de l’hôtel. Il pourra dormir dans un bon lit ce soir, il n'a pas à s'inquiéter d'un pièce écologique. - « J’espère bien parce qu’il pèle… C’est sympa comme endroit mais j’ai pas envie de me transformer en iceberg. Je crois que la place est déjà prise chez les mutants en plus… T’as pas froid toi ? » - Je tourne la tête vers lui, un peu surpris. - Comment ça fr... Oh. - Je lui offre un sourire désolé avant de reprendre. - Non, pardon. J'avais pas réalisé. Ma mutation m'immunise contre les changements de température. Pour moi il fait toujours bon, en fait.

D'un autre côté, j'aurais pu voir les signes. Il a sa veste, son col est relevé, une main dans la poche l'autre qui tient le gobelet... Et les autres gens aussi, dans la rue. Et moi presque à poil avec mon pantalon et mon maillot... - Attends, tu vas voir. - Posant mon milkshake dans l'herbe, je me rapproche et étend mon bras autour des épaules de Aidan avant de tapoter deux trois trucs sur mon bracelet.
Un voilà flou s'étend autour de nous en une bulle parfaite, puis s'estompe, comme s'il n'y avait plus rien. - Là. La température à l’intérieur du globe devrait remonter un peu. - Est-ce qu'être si proche est vraiment nécessaire? La vérité c'est que oui, pour que le champ de force nous englobe tous les deux. Le bras autour de ses épaules par contre... Mais honnêtement je ne suis même pas certain que ce réflexe me sois venu pour l'embêter comme les autres fois. Est-ce seulement par compassion pour m'assurer qu'il est bien? Diantre, qu'est-ce que je suis en train de devenir.

« Cool. Merci. » - Pas de soucis. Je t'ai pas embarqué pour que tu prennes froid. - Lui répond-je en laissant ma main frictionner un peu son épaule, autant que possible vu la position dans laquelle je suis. Le globe n'est pas grand et ma seule chaleur corporelle préservée par ma mutation devrait être suffisante pour réchauffer l'atmosphère, alors à deux, ça ne devrait pas prendre bien longtemps.

Et heeu... non, je peux pas vraiment tomber malade parce que j'ai froid. Dépend des maladies. Une grippe c'est viral, froid ou pas tu l'attrapes. Un rhume non par contre. - Ajouté-je en sentant, bizarrement, que ces explications sont de trop. - Enfin, bref, désolé. - J'aurais dû y penser. J'étais peut-être un peu trop préoccupé, ou juste sous l'effet de la bière qui doit certainement retomber un peu. Cette fois, je me tais, je laisse à la nature autour de nous jouer le rôle de combler le silence. Nature, et la voiture qui passe un peu plus loin.

Je ne me sens pas spécialement mal à l'aise, certainement moins que lui que je sens légèrement crispé contre moi, pourtant je ne m'éloigne pas. Peut-être que j'essaye de faire durer, peut-être que je cherche juste à le réchauffer, ou peut-être que je sais que je dois être patient. Alors j'observe l'étang, le reflet de la lune à la surface de l'eau. J'observe les ronds qui grandissent là où un poisson a dû passer. Je vois les phares qui zèbrent la nuit à travers les grilles. Et lorsque Aidan laisse sa tête se poser contre mon bras, je me sens léger. Lourd, mais léger.

Je sens mon cœur s'emballer, puis se calmer, je bloque ma respiration pour ne pas qu'elle s'envole elle aussi. Pourquoi ce simple geste me tire-t-il ainsi de ma zen attitude habituelle? Est-ce un autre coup de la bière? Un truc dans le burger? Ou alors est-ce le milkshake duquel je viens de tirer une nouvelle gorgée? J'en sais rien... mais j'aime cette sensation. - Est-ce que ça va mieux? On peut... On peut y aller si tu as encore froid. Enfin, si tu veux.

« » - Alors c'est ce que nous avons fait. Mon bras n'a pas quitté ses épaules, le bouclier n'a pas cessé son action. Jusqu'à achever nos milkshake, nous sommes restés ainsi, dans ce calme parfait et apaisant. Et lorsque nos gobelets ont été vides, nous n'avons pas bougé pour autant. Nous sommes restés, encore un peu, puis encore un peu, puis enfin quand j'ai senti ses tremblements incontrôlés sous mon bras, j'ai pris les devants. - Allez, ça suffit, t'es gelé. On va aller à l’hôtel, tu vas te réchauffer.

D'abord, le bouclier qui tombe, et l'air trop frais qui s'engouffre dans cette petite bulle de confort que nous avions et que je suis incapable de ressentir. Ensuite, mon bras le quitte, je me lève et l'aide à se lever à son tour. Enfin, nous nous éloignons du petit carré d'herbe qui nous a accueilli ne serait-ce qu'un temps, jetons les gobelets dans une poubelle du parc, et rejoignons le portail que j'ai crocheté pour sortir, sans être vu.
Et une fois dans la rue, je prend la tête de notre petit convoi pour nous guider jusqu'à l’hôtel.

Contrairement à ce u'il aurait pu penser, s'il y a pensé, je n'ai pas choisi quelque chose de luxueux et tape à l’œil uniquement pour juger de mes remerciements à la taille de mon porte-feuille. J'ai choisi un hôtel moyen, trois fois étoilés mais qui ne le montre pas par des feuilles d'or étalés sur les murs et un lustre en diamant dans le hall d'entrée. Une fois à l'intérieur, même habillé comme nous le sommes, avec nos sacs à dos sur les épaules, nous ne paraissons pas totalement hors de notre monde. Je récupère les pass à l’accueil, le hall est seulement occupé de deux personnes derrière le comptoir, et trois autres, incluant le barman, dans l'espace bar juste à gauche.

Pas de derniers verres pour nous, cela dit. Nous nous dirigeons vers l'ascenseur, j'appuie sur le bouton numéro quatre, et en quelques pas supplémentaires, je n'ai qu'à enfoncer la carte magnétique dans le lecteur pour déverrouiller la porte, révélant une chambre rectangulaire dans la longueur avec une fenêtre au bout, contenant deux lits une place ainsi qu'une salle de bain avec douche. - J'espère que ça te gêne pas qu'on soit dans la même chambre. Quand j'ai réservé, ils aveitn rien d'autre, mais je peux toujours descendre demander.

« Je devrais pouvoir réussir à survivre. Tu ronfles pas hein ? » - Non, non, mais ça m'arrive de parler dans mon sommeil. Enfin, c'est ce qu'on m'a dit, mais je me suis jamais enregistré. - Aidan pose son sac sur le lit du fond et je pose le mien sur l'autre, côté fenêtre à travers laquelle je peux voir ce petit parc bien sympathique offrant certainement une vue tout aussi sympa au matin. Est-ce qu'il dort tard? Aucune idée, on verrait bien. - « Ca te dérange si je prend ma douche en premier ? Je suis glacé. » - Non, vas-y, je vais me poser et j'irais après toi.

Et une fois qu'il a pris quelques affaires, s'est enfermé dans la salle de bain et que j'entend l'eau couler, je décide de me débarrasser de mes chaussures que je pose devant la fenêtre, chaussettes roulées en boule dedans, et je me laisse tomber sur le lit.
Avachi contre le mur, une jambe repliée et l'autre tendu, je m'allume la télé qui couvre tout juste le son du jet d'eau et je zappe inlassablement entre émissions de bricolage et séries inconnues. Il y a quelque chose de presque inconfortable à regarder la télé d'un autre, ou d'un hôtel, alors que le programme est le même que chez soit, et c'est une sensation étrange que je met de côté le temps qu'il sorte. Il a raison: il a pris son temps, mais je ne dirais rien. Au lieu de dire quoi que ce soit, je me surprend un regard fugace et discret, presque gêné, sur ses jambes que je n'avais jamais vu, pas plus que le reste d'ailleurs si on doit être honnête. - « Désolé pour l’attente, la place est libre. » - Pas de soucis, c'est pas comme si on était limité sur l'eau chaude. - Je dois dire que je serais passablement agacé de devoir prendre une douche froide ce soir. Pas que je le ressente vraiment, mais mon corps et mon esprit le savent. C'est une étrange sensation que je suis incapable de décrire, mais c'est moi.

Alors je me lève, laisse tomber mon téléphone sur le lit et attrape une petite sacoche et un vêtement noir dans le sac avant de me diriger vers la salle de bain, croisant Aidan au passage, lui tendant la télécommande. - Tiens, change si tu veux, je zappais. - Et je tire la porte de la salle de bain aussi simple qu'efficace. Lavabo, douche, toilettes, un sèche-serviette sur lequel je compte bien étendre la mienne, et une fois libéré de mes vêtements, je me glisse dans la cage de verre et ouvre l'eau probablement trop chaude vu la vapeur qui envahie rapidement l'espace, mais je ne le ressens pas. Ce que je sens c'est le contact du liquide qui roule sur ma peau sensibilisé par l'ivresse légère, une sensation agréable qui apaise ma fatigue passagère. J'y reste un moment, pas si longtemps, pas si peu non plus. Je prends mon temps, mais mon temps n'est pas si étendu, et une fois terminé, je referme l'eau, attrape la serviette et me sèche au mieux. Mais lorsque je sors de la salle de bain, un short noir autour de la taille tombant juste au-dessus des genoux, ma peau est luisante de la vapeur d'eau qui s'y est déposée, et de mes cheveux qui gouttent encore un peu de l'eau que je n'ai pas réussi à chasser.

Et bah ça fait du bien. - Lancé-je à Aidan en passant devant son lit pour rejoindre le mien. Je m'y assoies d'ailleurs, au bord, face à la fenêtre et dos à lui, et attrape mon téléphone pour vérifier que rien n'est arrivé: et à part quelques mails inutiles de publicités, il n'y a rien. - Tu t'es pas trop ennuyé? - Dis-je en me retournant dans sa direction, m'asseyant en tailleur sur le lit avec mon téléphone jeté à côté de moi.

« Ça va, t’inquiète. » - Il dit ça, mais sa voix dit le contraire. Parfois j'aimerais ne pas être capable de percevoir ces petites incohérences dans le comportement des gens. Parfois, j'aimerais juste être aveugle à ces minuscules différences qui disent mensonge ou vérité. Juste parfois... Mais là, à cet instant, je ne sais pas si je le voudrais. Il y a quelque chose. Je le vois bien. Son regard est fuyant, s'il me regarde, c'est dans les yeux, et trop furtivement pour que ce soit normal. Sa couverture est exagérément remontée sur son corps pour quelqu'un qui devrait être à l'aise. Sa voix trahie une forme de stress et je remarque la télécommande posée sur ma table de chevet. Il l'aurait gardé, pas nécessairement pour l'utiliser, mais il n'aurait pas fais le chemin pour la déposer sur MA table. Il aurait pu s'en délester depuis son lit. Non, il a volontairement fait l'effort de l'éloigner de lui, comme pour refuser ce que je lui avais donné en main propre.

Ai-je fais quelque chose? Ai-je dis quelque chose?

Mes épaules s'affaissent sensiblement et je récupère mon téléphone pour pouvoir m'allonger sur le lit, me glissant moi aussi sous la couverture comme si elle était un bouclier. Est-ce pour ça qu'il s'est ainsi couvert lui aussi? Je peux comprendre le geste. - Et heeu.. Sinon.. La soirée? Ça va? T'es content? - Pas que je puisse effacer ce qui s'est passé, mais peut-être que je ne lui ai pas totalement gâché la fin de semaine.
Je le laisse répondre, s'il répond d'ailleurs, puis j'attrape la télécommande pour éteindre la télé, laissant au lion le soin de dévorer son repas. Le silence qui s'en suit est presque douloureux. - On devrait.. dormir. C'est tard. Et puis je te ramènerais demain. - Lui dis-je alors, maladroit. Dormir... Si la bière ne fait pas son boulot, c'est certainement pas mon cerveau qui me laissera fermer l’œil ce soir...

Au moins a-t-il apprécié sa soirée jusque là... Et puis il y a ça. - « Désolé. » - De quoi s'excuse-t-il? C'est moi qui ait fait une connerie. Je ne sais pas laquelle, mais c'est moi, et c'est pas la première fois. Je devrais avoir l'habitude. - « Je voulais pas te mettre mal à l’aise avec mes conneries. J’ai juste pensé que… » - Je tourne la tête dans sa direction, les sourcils froncés, et lui redirige immédiatement son regard vers le plafond. Il a quoi de si intéressant ce plafond? - « C’est pas important. J’ai juste merdé et j’ai simplement l’impression d’avoir tué l’ambiance et… » - Mais t'as rien... - Marmonné-je, mais le son est trop grave et faible pour être suffisamment audible malgré l'épais silence qui nous étouffe tous les deux. - « C’était vraiment cool, sincèrement. J’ai juste pas réfléchi à ce que je faisait. Sur le coup… je sais pas, ça m’a juste semblé être le truc à faire ou une connerie du genre… J’aurais pas dû. Désolé. Sincèrement. Je chercherai plus à… » - Je le fixe. Trop de mots, trop de phrases, aucun sens, mon cerveau chauffe et rien ne fonctionne.

« Ça me va très bien si on est juste amis. Si t’es toujours d’accord avec ça… » - Et alors tout ce qu'il dit se met en perspective et j'étouffe un rire nerveux sans le quitter du regard. Et puis le rire me reprend, et je l'étouffe encore. Il n'y a rien de drôle mais je ne peux pas m'en empêcher. - Mais quel con... - Dis-je à mi-voix. - Pas toi! Moi. C'est moi le con. C'est ma faute. - Oui, au final, c'est bel est bien ma faute si tout s'est barré en couille. - C'est parce que j'ai détourné le regard quand t'es entré dans la pièce, c'est ça? Je l'ai senti que tu m'as vu. - Tout prend du sens maintenant. Au moins je sais exactement pourquoi. - Ça à rien à voir avec toi ou ton absence de pantalon. Enfin si, mais pas comme tu crois. C'est pas que.. Enfin si. Mais. - Je me redresse sur le lit, incapable de tenir en place sans que mon cerveau ne craque. - C'est parce que, au parc, c'était sympa, et du coup là quand je t'ai vu rentrer, je me suis dis que c'était peut-être déplacé de te regarder alors que t'avais pas de pantalon. - Le lien entre le parc et le pantalon? À part l'humidité? - Je sais pas, je fonctionne à l'envers je suppose. Quand je me rapproche de quelqu'un et que j'essaye que ce soit sérieux, j'ai tendance à me montrer un peu plus dans la retenue. C'est la première fois qu'on me le rapproche, c'est drôle...

Merde. T'as dis quoi là?
Oh shit, fuck, merde, fuckity fucking fuck, whaaaaat.

À mon tour de fixer le plafond. C'est vrai qu'il est vachement intéressant ce plafond. Bordel que je me sens nu, là. Je déteste ça. Vite, une idée pour tout faire capoter et remonter mes barrières, vite, vite. - Tu... Tu pensais que... Ça voulait vraiment dire quelque chose pour toi le... au parc? - Non. Pas ça. Dit lui qu'il a des cuisses sexy et le sourire qui fait craquer! Merde! Non! Un défaut! Vite! Quelque chose de méchant! - Parce que.. Moi je me disais que oui. - Bordel. Cerveau, prend la place de Cœur! Il fait n'importe quoi!

Le plafond blanc se retrouve éclairé de quelques lueurs et je tourne machinalement la tête vers la fenêtre comme si j'allais y voir les phares des voitures qui feraient une parade, mais il n'y a rien, et je le sais parfaitement. Alors je me force à regarder de l'autre côté, et découvre un Aidan entouré d'une aura orangée, vagues étranges et captivantes qui éclairent toute la pièce.
Dans un réflexe, je me redresse et m’assoie au bord du lit. Je ne cherche pas à fuir, je me serais éloigné de lui, mais je ne suis pas stupide au point de rester gentiment allongé alors qu'il pourrait me compresser contre un mur. Je préfère être prêt à me téléporter hors de la zone de risque.

Je ne dis rien, je le laisse respirer. Je vois bien qu'il tente de se calmer, je vois bien que ça fonctionne, et tant mieux. Cette fois je suis bien conscient de ce que j'ai dis pour le mettre dans un état pareil et je dois dire ne pas être bien calme non plus. J'ai le cœur qui bat à tout rompre et le vise aussi rouge que le sien. - « Je pensais que tu… » - Je pose mon regard sur lui, attendant désespérément la fin d'une phrase qui ne viendrait jamais, juste pour pouvoir parler et tenter d'expliquer quelque chose que je serais incapable de justifier. - « Nate ? Je croyais pas que t’étais sérieux tu… » - Une nouvelle question inaboutie à laquelle je ne pourrais pas répondre, et j'ai envie de hurler, juste pour me libérer de cette tension qui comprime mes poumons.

Et puis il se lève, et par peur qu'il s'enfuit, je bondis sur mes pieds. Est-ce que je compte le séquestrer en me levant ainsi? Non, bien sûr que non. Je sais même pas pourquoi j'ai fais ça. Mais maintenant que je suis debout et qu'il pose son regard sur moi, je me sens comme paralysé. - « Is this a date?.. » - J'ai envie de soupirer de soulagement, parce qu'il ne sort pas, parce qu'il ne me bousille pas contre un mur... Mais être soulagé serait déplacé quand lui semble aussi tendu. - Pas au départ, mais... Enfin, avant au parc... - Je croise les bras, me sentant plus vulnérable que jamais, et ça n'a rien à voir avec le pauvre short que je porte. - Est-ce qu'on doit vraiment catégoriser ça? Je veux dire, au départ c'était réellement pour te remercier. J'ai pas cherché à te piéger. On peut pas juste... Accepter le moment comme il est? Sans réfléchir plus que ce qu'on a sous les yeux?

Je sens mon torse qui me picote, de l'intérieur, comme une brûlure inversée. Comme lorsque je vois quelqu'un que j'ai envie d'embrasser et que mes lèvres s'enflamment. Mais là, c'est différent. J'ai envie qu'on m'étreigne, qu'on me dise que tout va bien... Ou peut-être ai-je envie de l'étreindre? De retrouver ce calme et cette quiétude qu'on avait dans le parc? Un câlin innocent? Mais, et si il me balance contre un mur? J'ai subis pire... - Tu... Tu aurais aimé que ça en soit un? - Ça n'en est pas un, je l'ai déjà dis, mais peut-être s'était-il mis une idée en tête en venant ce soir? Peut-être avait-il mal lu mes intentions? Mais si c'était le cas, pourquoi cette bouffée de panique? Pire encore, pourquoi ce stress si au final, ce rapprochement s'est passé? Après tout, si ça avait été un rendez-vous, ça aurait été un déroulement logique. Non? Il devait pas s'attendre à ça du coup, mais alors pour paniquer? - Faut que tu m'aides là, parce que je sais pas ce que je dois dire pour te rassurer. Tout ce à quoi je pense, j'ai peur de faire fausse route ou d'avoir rien compris, et que si je le dis, tu vas t'enfuir ou exploser ou.... Tu peux pas exploser, si?

Non. Pas de rendez-vous. Il a dit non. En même temps, ça en est pas un, alors pourquoi j'ai l'impression d'avoir une pierre dans l'estomac? Puisque ça en est pas un. Sauf que ça lui aurait plu?  Ou ça lui plairait? Qu'est-ce qu'il essaye de dire là? Que j'ai merdé? Pas encore? Ou que j'aurais dû procéder autrement. Comment aurais-je pu? Avant peut-être une grosse heure, je n'avais aucune réellement idée de ce que ça pourrait être. De qu'on pourrait être. Mais pourrait-on réellement devenir autre chose? - « Je pensais juste pas que tu flirtais sérieusement. Je croyais que c’était… Je sais pas, un moyen de te divertir. » - Et voilà, Nate, voilà comment ton comportement de débile profond reviens de mordre les fesses avec des dents bien aiguisées. Il n'a pas tort, ça m'amuse beaucoup. Soit parce que la personne est réceptive, joue le jeu, et que parfois ça abouti a un moment sympathique, soit parce que, comme pour Aidan, la personne est gênée et c'est amusant à voir. Il n'y a que deux situations dans lesquelles je me contrôle: lorsque la personne est réellement mal à l'aise, et lorsque la personne est... Enfin... Comme là.

« Pas vraiment… Et c’est pas… J’ai pas vraiment besoin d’être rassuré ou… C’est pas de la peur. » - Bon bah au moins c'est déjà ça... Mais la peur n'est pas la seule émotion qui peut-être apaisée par un simple câlin. Il y en a d'autres, beaucoup d'autres, et je dois certainement être en train d'en expérimenté tout un cocktail. - « Ça fait juste… Beaucoup. » - C'est pas faux. Et pourtant, ça devrait pas, si? S'il a posé sa tête contre mon bras dans le parc, c'est que d'une certaine manière, il essayé de montrer quelque chose, non? Ou alors n'en avait-il pas conscience? Il tourne en rond, ne cesse pas de bouger, et si j'ai envie de l'arrêter net parce qu'il me file le tournis, je n'ose pas le toucher de peur qu'il explose pour de vrai. - « Et toi ?.. » - Je me tétanise alors qu'il s'arrête enfin pour me regarder en face. Quoi moi? Qu'est-ce qu'il me veut? Qu'est-ce que j'ai fais? - « Tu… T’as besoin d’être rassuré ? »

Rassu... Moi? Qu'est-ce qui lui fait dire ça? Je le jauge un instant. A tourner en rond comme ça, il a l'air presque en colère, et je sais que j’interprète très mal ce que je vois, mais toute cette situation vaseuse me fait peur. Voilà ce qui arrive quand je ne fais pas attention et que je développe de l’intérêt pour quelqu'un, ça me retombe sur la tronche. J'ai appris pourtant à me préserver mieux que ça, en m'isolant derrière cette barrière de faute confiance en moi, chose qui fonctionne en général, sauf quand je merde.
Je hausse les épaules, tentant vainement de faire comme si, genre, ça va... Sauf que je sais mentir bien mieux que ça, je ne suis juste pas du tout apte à réussir maintenant. Je décroise néanmoins mes bras, les laissant retomber comme pour signifier que je ne suis pas si largué, mais là encore, le geste est trop exagéré pour être crédible. C'est lui l'anxieux, pas moi. Moi je vais bien. Moi je peux survivre à cette situation, j'ai tellement de numéros à appeler si je me sens seul, pourquoi je m'inquiète? Hein? J'ai pas peur. J'suis pas stressé.

Je regarde pas partout sauf vers lui parce que j'ai juste peur qu'il se sente forcé de quoi que ce soit. No, Sir.
Je veux pas qu'il prenne pitié, ou qu'il soit si mal à l'aise qu'il se sente obligé de faire quoi que ce soit. En plus j'ai pris qu'une seule chambre. Mais quel imbécile je fais, là, debout, immobile, incapable de savoir quoi faire. Pourquoi je peux pas juste m'en tenir à mes petites nuits ci et là comme un adulte responsable qui se protège?
Mais ce moment dans le parc...

« Nathaniel ? » - Je pose mon regard sur lui. Encore une fois, il m'interpelle, et encore une fois je le fixe, mais cette fois c'est mon prénom entier que j'entends, et c'est rarement annonciateur de bonnes choses. - « Est-ce que.. Est-ce que je peux… » - Je fronce les sourcils, pas certain de comprendre ce qu'il veut. En temps normal j'aurais sûrement déduis la fin de ses phrases, mais pas là. Là, l'absence de mot a raison de mon cerveau qui est incapable de chercher la solution de l'énigme. Et je ne peux certainement pas blâmer la bière pour cette lenteur de réflexion, pas plus que je ne peux blâmer l'absence de pantalon sur les jambes d'Aidan. Là c'est un autre niveau de rouage qui lâchent.

Alors forcément, lorsqu'il avance, j'ai un mouvement de recul, mais, impossible de reculer au-delà du mur dans mon dos. Sans rien ajouter de plus, et à ma plus grande surprise, ou peut-être pas tant que ça, il entoure mes épaules de ses bras et verrouille ses mains au niveau de ma nuque. Je me tétanise un peu au contact, je m'y attendais sans m'y attendre. Une chose à laquelle je ne m'attendais certainement pas, c'est qu'il prenne cette initiative sans préambule ni demande... Quoi qu'il a essayé. Pour de vrai.
Il me faut quelques secondes pour intégrer ce qui se passe, et finalement mes muscles se détendent et mes bras glissent sous les siens pour aller se rejoindre dans son dos, mon front trouvant un socle en son épaule alors que j'enfouis mon visage contre son t-shirt, fermant les yeux un instant. Comme quoi, il n'y a pas que moi qui puisse initier un bras autour de ses épaules, il en est très capable aussi. - Merci... - Il en utilise même deux, mais pour ma défense, je devais tenir mon milkshake.

Rassuré, je le suis, et j'ai même pas l'impression d'avoir demandé à l'être. S'il vient de lui même me serrer dans ses bras, c'est qu'il n'est pas si mal à l'aise que ça. Que toute cette soirée peut encore être sauvée. Que... peu importe ce qu'on est, peut-être sauvé. Sauvé, précisé, amélioré... Choisissez le mot que vous préférez. Pour le moment, faire perdurer ce câlin est une idée qui me plait. - C'est sympa... - Dis-je, toujours fourré dans son cou, un sourire sur des lèvres qu'il ne peut pas voir, mais qu'il peut peut-être entendre dans ma voix. - Tu crois qu'on peut dormir debout comme ça? - Est-ce que le Nate débile est de retour? - Comme les chevaux, mais en mode câlin? - Ouais, il est clairement de retour. - Je décolle mon front de son épaule, sans dessouder mes bras de son dos, et je lui souris avant d'observer ses lèvres, proches, puis ses yeux, tout aussi proches, puis ses lèvres encore... - Moi elle me plait bien cette soirée. - Vachement super proche...

« Ah oui ? » - Dit-il comme s'il en doutait. Pourtant, ce fois, je sais qu'il ne doute pas. Il peut essayer de faire comme s'il ne voulait pas affirmer quoi que ce soit, j'entends dans sa voix que ce doute est un mensonge. Il n'est qu’appréhension. - « Je crois bien qu’elle me plait aussi. » - Un fin sourire étire mes lèvres, une satisfaction évidente alors que j'entends de sa bouche ce que je voulais entendre. Comme quoi, j'ai pas fais totalement n'importe quoi, même si les meubles ont été sauvés de justesse.

Je ne l'ai pas lâché. Pas encore. Je n'en ai pas envie. Et lui-même a toujours ses bras serrés dans mon dos, preuve qu'il n'a pas songé à me lâcher non plus. Nos visages sont si proche que j'en sentirais presque son souffle. Il s'est immobilisé. Seul son torse se lève et s'abaisse au rythme de sa respiration qui s'est sensiblement accélérée. Son regards est ancré dans le mien, mien qui est incapable de décider s'il veut se plonger dans ses yeux bleus ou détailler ses lèvres, l’inférieure nerveusement pincée par ses incisives.

Mon regard s'éprend du pli que créée son incisive droite lorsqu'elle pince la lèvre. C'est comme une hypnose, une seconde de fixation qui semble durer une foutue éternité avant que j'inspire un coup et ne réduise ces quelques immenses centimètres à néant.
Mes lèvres se déposent sur les siennes, gouttent le gout exquis d'un baiser presque impulsif et pourtant doux. Attentionné même.

Non, ce n'était pas le plan. Cette soirée était seulement ma façon de le remercier pour son aide, et c'était tout. Mais ça? Ça c'est un imprévu absolu, un imprévu agréable quoi qu'un peu stressant. Un imprévu dont je profite, en tout cas le temps qu'il dure, peut-être un peu anxieux de retrouver son regard pour y découvrir l'étincelle à l'intérieur: sera-t-elle positive? Ou celle d'un champ de force qui m'enverrait au plafond?

« Ok… C’était… Intéressant… » - Son sourire m'est rassurant, contagieux. Je l'observe me détailler de prêt, mon regard focalisé sur ses yeux qui se baladent le long de mon visage, et je dénote sans mal le petit pincement à l'angle de ses paupières lorsqu'une nouvelle idée traverse son esprit. - « Peut être qu’on devrait réessayer ? Pour… pour la science, hmm ? » - Mon sourire s'élargit tout juste à temps pour que ses lèvres retrouvent les miennes, et cette fois c'est à moi de laisser ma main glisser le long de sa colonne vertébrale, jusqu'à sa nuque, pour que mes doigts puissent s'insinuer dans ses cheveux.

Ce baiser-là est plus court, plus sincère et détendu aussi. Même pour moi. Par instinct, par habitude, je me sens verrouiller mon bassin contre le sien. Une simple pression, un simple réflexe... Et puis je me calme. Ici, maintenant, c'est différent. Toute cette situation est différente. Ce moment n'a rien à voir avec toutes les relations que j'ai eu auparavant, car elles n'étaient que physiques, animales, aussi temporaire que le passage de la lune dans le ciel nuageux de New York. Là, il n'y a pas de passion dévorante à embraser de quelques frottements. Il n'y a pas ce lit qu'on doit souiller par besoin ou par envie. Il n'y a pas les murs fins qui alertent les voisins. Il n'y a que lui, moi, le calme d'une chambre et le confort d'un lit, ses lèvres et les miennes fusionnées en une symbiose apaisante et enivrante.

Alors je l'y invite, dan mon lit. Je l'y convie avec douceur. Je lui intime d'un regard que je n'attends rien de lui, pas plus son corps que son âme, seulement ce qu'il souhaite et rien de plus. Je m'allonge, le dos légèrement appuyé contre le mur. Je l’accueille dans mes bras, je l'embrasse encore, je lui fais une place malgré l'étroitesse du matelas et remonte le drap sur nos corps et nos têtes épuisés par cette soirée. Nous n'avons pas besoin de parler, pas vraiment en tout cas. Nous n'avons besoin que de ressentir cette chaleur entre nous, ces baisers volés par ci et par là. L'appel du sommeil qui se fait sentir, enlacés, l'un contre l'autre, d'un confort agréable et innocent.

Lorsque je me réveille, j'entends à travers la vitre le passage de quelques voitures avant de sentir le poids de la tête de Aidan, posée sur mon torse. J'ai les cheveux en bataille, ceux de l'arrière du crâne complètement écrasés par l'oreiller. Je relève doucement mon bras le long du sien et jusqu'à son épaule, rapprochant l'autre pour le serrer un peu. Dort-il encore? Je n'ose pas bouger de peur de le réveiller. J'aime ces quelques secondes de silence où je réussis sans y penser à caler ma respiration sur la sienne. Ces secondes où il n'y a rien de plus que lui et mon au fond de ce lit. J'aime ce réveil paisible avec lui.

D'un autre côté, j'ai le bras engourdis, le visage bouffis par le sommeil et j'ai du baver sur l'oreiller parce que j'ai les lèvres collantes.
Mais je ne veux pas le réveiller, et certainement pas fuir le lit pour aller dans la salle de bain et... Ou je pourrais me remplacer par la couette de son lit? Et me laver vite fait? Et revenir? Et... Shit, sa respiration. Il dormait pas le salop. - Good morning, beautifull. - Dis-je à mi-voix.