« Non non, je t’assure, c’est rien. J’allais poser une question débile et je m’en suis rendu compte en cours de route. Crois-moi ça vaut mieux pour toi comme pour moi que je me sois abstenu. » - Je fronce les sourcils, pas le moins du monde satisfait par cette réponse. Je ne suis pas du genre à toujours absolument vouloir tout savoir, mais s'il apprêtait à dire quelque chose... - « Tu crois pas qu’on devrait aller vérifier où en sont Hank et Matty ? Ils devraient être prêts depuis le temps non ? » - Oui, je suppose. - Ai-je répondu par automatisme, l'observant se lever et se mettre à ranger. Le paquet de gâteaux au placard, la bouteille et la canette à la poubelle, ses pas qui le mènent vers la sortie. - « Je suppose qu’ils sont allés au sous-sol, mais j’y ai pas accès, va falloir leur envoyer un message pour signaler qu’on arrive. » - Aidan, stop!

D'un clignement de paupières, le voilà qui se retrouve de nouveau au beau milieu de la cuisine alors qu'un courant d'air souffle dans le couloir et je contourne l’îlot central pour lui bloquer le passage et le saisir par les épaules. - Hey, respire, tout va bien. - Je cherche à capter son regard, un air de réelle inquiétude sur le visage. - Pourquoi tu fuis comme ça? - Je le fixe. - Oui, ça se voit que tu fuis, comme le nez au milieu de la figure. - Je ne sais pas si c'est une habitude chez lui mais j'ai vu clair dans son petit jeu, en tout cas cette fois. - Si c'est par rapport à la question que t'as voulu poser mais que t'as pas posé, je suis pas offensé. Parce que je sais pas ce que t'allais dire. - Mes mains frictionnent doucement ses bras. - Cela dit, si ça te met dans un état pareil peut-être que tu devrais la poser. Je suis un livre ouvert, tu peux tout me demander. - Ou retenter de fuir. Même si je ne lui laisse pas ouvertement l'option en laissant entendre que je peux le retéléporter indéfiniment, la vérité c'est que je ne recommencerais pas, je ne piège pas les gens dans des boucles ainsi. - On a encore le temps.

Peut-être est-on seulement différent, ou peut-être est-ce que ça vient de notre vie passée, du voyage qu'on a dû faire jusqu'à maintenant, mais le stress, la peur des mots, de quoi dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, ça m'a passé. Oh, je fais attention à ce que je dis, j'ai des filtres comme tout le monde, quoi que peut-être un peu moins si on doit être honnête, mais si j'ai envie de dire quelque chose je le dis, si je veux faire quelque chose je le fais, et les autres font avec ou regardent ailleurs. Peut-être n'est-ce pas la bonne solution mais c'est la mienne.

Alors forcément lorsque Aidan m'avoue que ça vient de là, vrai ou non d'ailleurs, mes épaules s'affaissent un peu. Peut-être n'est-ce que pas réellement la peur des mots, peut-être est-ce autre chose. Une insécurité différente qui le pousse à se cacher au moindre problème. - « C’est pas tellement une question d’offenser. » - De toute façon, je le suis pas. Offensé. - Il en faut beaucoup d'ailleurs.

Je l'observe me fixer un instant, un air compatissant d'abord, puis perplexe, puis un poil effrayé en me disant qu'il va peut-être me sauter à la gorge, et finalement non. De nouveaux mots. - « T’es comme ça avec tout le monde ? » - Comment ça "comme ça"? Agréable, drôle, charmant et particulièrement intelligent? Tout le monde, sauf si la personne en fait m'a fait une crasse, là j'suis... moins gentil. - Je fixe son regard deux secondes, juste deux secondes, puis soupire. Je sais de quoi il parle, ou en tout cas je pense le savoir. - Ou alors compatissant et attentionné? - Toujours bizarre de se décrire soit-même avec ce genre de mots, surtout en ayant un minimum de sérieux. - Uniquement les gens que j'aime bien. - Je le fixe encore, un tout petit peu, puis étire mes lèvres en un large sourire avant de sautiller un peu, comme un enfant. - C'était ça ta question? Hein? J'ai passé le test? J'ai gagné quoi?

Cool alors si j'ai répondu à la question. Bon, si on est honnête, j'ai bien conscience que ce n'était pas tout, je l'ai bien vu à son visage et à sa réaction générale, mais peu importe. Je le vois se détendre et c'est l'essentiel pour le moment. - « Le… Droit que je n’essaye pas de laisser en plan en me barrant par la porte de la cuisine ? Et sinon on peut continuer de discuter pendant que je te montre les étages. Sinon on va finir par dévaliser l'intégralité du contenu de la cuisine, et j'ai pas envie d'être de corvée courses. » - Un sourire élargit mes lèvres, oui un autre. - Dévaliser la cuisine me pose pas de problèmes, mais ok. Va pour l'étage.

Mes mains fourrées dans mes poches, je laisse Aidan passer devant, cette fois sans cette précipitation de fuite, et je le suis dans le couloir pour rejoindre les escaliers de bois, magnifiques escaliers de bois d'ailleurs. Pas que je sois un expert en bois. Ni un bois-ophile. Mais bref, c'est un joli hall. Là encore, je le laisse gravir la première marche et prend sa suite, forcé derrière lui à cause de quelques jeunes qui descendent dans l'autre sens. Une chose est sûre, cet endroit est vivant et animé, et c'est pas uniquement pour l'avion en papier qui traverse l'espace. Un avion aussi vrai que nature, dans le détail, mais en papier. Honnêtement si c'est pas un mutant qui manipule le papier, je démissionne, parce que c'est super cool!

Les pieds posés sur le pallier, je tourne la tête de chaque côté pour observer les couloirs assez similaires au rez-de-chausser, mais avec plus de portes. - Alors, il se passe quoi au premier étage? Racontes-moi. C'est là qu'est ta chambre? - Blanc. - Attends, t'as ta chambre ou tu la partages avec quelqu'un?

« Je te montre ? » - J'ai acquiescé en silence, autant par curiosité que pour combler le temps et continuer cette petite visite plutôt intéressante mine de rien. Alors je le suis, cette fois à côté et pas derrière puisque la largeur du couloir nous permet cette configuration, et si mon attention est rapidement attirée par l'une des classes, je m'engage tout de même dans les escaliers vers le second étage. - « C’est fichu comment chez vous ? Je veux dire, vous avez bien une sorte de quartier général aussi non ? Enfin, t’es peut-être pas censé en parler en fait, si vous tenez à préserver le secret et tout… » - Hmm... Plus sombre? Et essentiellement plus plat aussi. Et pas de bois. Quoi qu'on a un citronnier dans un pot, ça compte, non?

Arrivés au milieu du couloir, je l'observe ouvrir l'une des portes et lui emboîte le pas pour entrer dans l'une des chambres. Sa chambre. Petite pièce, un lit, un bureau, une commode et un tableau en liège où sont accrochés tout un tas de souvenir sur lesquels je ne m'attarde pas, par simple respect de son espace. - « Voilà. On a à peu près fait le tour de ce qu’il y avait à voir. Reste encore des salles de classe au dessus, mais globalement c’est tout… N’hésitez pas à laisser un pourboire au guide ? » - Faut que je donne de ma personne ou un peu de monnaie suffira, quand j'en aurais? - Répondu du tac au tac, je tourne mon regard vers lui, un sourire joueur sur les lèvres, et reprend en désignant la casquette.

Fan de hockey? T'as joué? - Pas moi, le sport a jamais été mon truc et le seul effort que j'accepte de faire à part mes entraînements au combat c'est bondir entre les lasers d'un détecteur de mouvements. Bref, me voilà me rapprochant de la fenêtre. - Jolie vue. - C'est sur que comparée à la vue du ciment humide... - Pas de salle de bain? Ça doit être sympa si vous en partagez tous une. - J'ose honnêtement pas imaginer l'état. Enfin si, j'ose, c'est bien ça le soucis.

Les bras croisés dans mon dos, je lui lance un énième sourire. - Et bien, merci pour cette visite, jeune guide-béquille. Tu as été très bien. Quoi que je trouve qu'il y a des lacunes au sujet de l'histoire des bibelots qui prennent la poussière, faudra faire mieux la prochaine fois. - Prochaine fois? Quelle prochaine fois? - T'as autre chose à me montrer ou on redescend? - Ne restera plus qu'à prévenir Hank qu'on arrive une fois sorti de l'antre du Aidan-bear.

Cette conversation prend une tournure à laquelle même moi je ne m'attendais pas. Jouer avec Aidan est une chose, mais lorsque le cobaye se rebelle, il y a de quoi esquisser une moue surprise, au moine une petite seconde, pour le respect des ancêtres, avant de revenir à la conversation. Sans rien dire mais sans rien oublier pour autant.
« Promis, je vais me mettre à étudier l’histoire des bibelots poussiéreux. Et non, rien d’autre à te montrer, on peut rejoindre Hank si tu veux. » - J'attrape alors mon téléphone tout en quittant ma position pour traverser la pièce et m'arrête au niveau d'Aidan, probablement trop prêt, avant de sourire dans sa direction. - Et j'entend de quoi nous faire suer tout les deux.

Satisfait de ma connerie, je reprend ma petite marche et passe la porte pour retourner dans le couloir, mon téléphone à la main bien vite contre mon oreille, trois tonalités avant une voix lointaine. - Vous en êtes où? On descend là, il nous faut le code, ou l'empreinte, ou je sais pas quoi pour l'ascenseur. - Blabla bla. - Ok, laisse-moi.. - Bla bla? - Non, bien sûr que non. Hey, je croyais que j'étais sur le haut-parleur là! - Blabla. - Sale petit... Laisse-moi attraper mon guide et on arrive dans deux secondes. - Je me retourne vers Aidan, lui faisant probablement l'effet d'un météore qui lui fonce dessus, et j'attrape sa main avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit.

Un clignement.

Et nous voilà en bas, au rez-de-chaussée, face à l'ascenseur qui s'ouvre devant nous comme si tout avait été parfaitement chronométré. - T'as dis que t'as pas accès, mais t'es déjà descendu au sous-sol toi? - Je tourne la tête vers lui, lâchant sa main tout en faisant un pas en avant et réalise qu'il y a une différence entre le faire reculer de cinq pas, et lui faire descendre deux étages. - Ça va? Tu viens? Si t'as une nausée, ça va vite passer, t'inquiètes. - Je baisse les yeux vers ma cuisse, sentant la peau qui tire légèrement à cause de la cicatrice, et je relève la tête vers lui, lui tendant la main. - Besoin d'une béquille?

« C’est bon, c’est passé. C’était juste… perturbant. » - Pardon, je sais que personne est jamais habitué mais ça vient par réflexe. - Qui peut sérieusement être naturellement habitué à la téléportation? Personne. Absolument personne. Ou alors un mutant, peut-être. C'est comme les applications, non? Y'a un mutant pour tout. Et pour les autres, il y a eurocard... Il y a l'entrainement.

Une fois l'ascenseur arrivé à destination, à nouveau, je laisse Aidan passer devant. S'il est déjà descendu ici, il sait certainement où aller. Moi pendant ce temps j'avise la décoration. - C'est très... bleu. Et gris. - J'aurais pu dire à la maison si ce gris avait été du ciment et pas... du métal? Ou du carrelage? Dans tous les cas c'est bien trop propre pour être comme chez nous, mais qui tient une liste, hein?

« Par ici, les garçons. » - La voix de Hank, un peu plus loin, me force à tourner la tête et je le vois entrer dans l'une des pièces, dans laquelle nous le suivons. Et à l'intérieur, je retrouve Matty, assit sur une banquette, torse nu - et il devrait l'être plus souvent vu comment il est foutu, je le lui dit en permanence mais monsieur est pudique - et le moignon à l'air, plusieurs rougeurs autour de la large cicatrice. - Ça va? - J'en sais rien, je sens plus rien. - « J'ai anesthésié toute la zone et je lui ai donné quelque chose pour le calmer. » - On va avoir la paix, c'est bien. - Gnagnagnagna.

Un sourire passe sur mes lèvres alors que je délaisse Aidan pour rejoindre mon protégé et poser ma main sur son épaule. - Comment ça va se passer du coup? - « La prothèse est prêt, j'ai finalisé les derniers réglages pré-opératoire. J'ai conçu des connexions intelligentes, elles vont trouver les nerfs, l'os, les muscles... Bref, la prothèse fait tout le boulot mais ça va tirer un peu. » - D'où l'anesthésiant et le calmant. - « C'est du vibranium, ça m'a permit pas mal de choses assez extraordinaire. Et j'ai aussi inclus la possibilité de changer l'apparence de la prothèse. » - Il tourne la tête vers Matty, la prothèse dans les mains. - « Il y a un écran à l'intérieur du poignet avec un sélecteur. Tu n'as qu'à choisir et la vibranium changera de forme. » - Et si cette idée aurait dû faire bondir Matty d'excitation, son simple sourire me prouve que le calmant fait un effet particulièrement puissant, à tel point que je me demande s'il a réellement compris ce qui va se passer. Car moi, à la mention des connexions intelligentes, j'ai eu un haut-le-cœur.

Et pourquoi pas une anesthésie générale? - « Parce que j'ai besoin qu'il soit conscient pour m'assurer que tout se passe bien. C'est juste un mauvais moment à passer, mais une fois terminé, à part les réglages de coordination, ce sera terminé. » - Je tourne la tête vers Aidan par simple réflexe, pas certain de pourquoi d'ailleurs, et resserre mes doigts sur l'épaules de Matty dont la peau est froide. Fait-il si froid que ça dans ce sous-sol, après tout je ne le sentirais pas si c'était le cas, ou est-ce que malgré le calmant, il est mort de peur? - Ça va bien se passer. Et puis pense à après, tu pourras littéralement faire des bras de fer.

« Je vais attendre dehors, je serai pas loin si vous me cherchez. » - Je me retourne légèrement pour voir Aidan sortir et la porter se refermer sur lui avant de sentir Matty trembler. - Allez respire, ce sera vite fini. - Hank se rapproche et positionne la prothèse sur une tablette à roulette, à la bonne hauteur, la base placée contre le moignon, avant de retourner derrière un bureau avec quelques écrans. - « À ton signal. » - Je pose mon regard sur Matty, pas que je l'ai dévié de toute façon, et attend qu'il fasse signe mais ça ne vient pas et les secondes s'allongent. Ma main quitte son épaule pour trouver sa main et son regard se tourne vers moi. J'ai bien compris. - Vas-y.

C'est presque immédiatement que je sens ses doigts se serrer et broyer ma main alors que je vois la prothèse s'activer. Une simple lueur interne violette qui remonte des doigts jusqu'à l'épaule et j'entend le son des câbles et du mouvement à l'intérieur. Le visage de Matty vire au rouge, il ferme les yeux, plisse les paupières alors qu'un filet de sang roule sur sa peau, issue des plaies faites par les connecteurs qui sont certainement en train de se relier aux os et connexions nerveuses. Je ne sais pas si c'est pire pour lui de subir la douleur, ou moi de ne pouvoir qu'observer, impuissant. J'ai beau me dire que c'est quelque chose de positif, qu'il a mal mais qu'il va retrouver son membre perdu, ça reste dur à voir.

Les minutes s'écoulent, le gros du boulot a été fais dans les quelques premières jusqu'à ce que Hank prenne le relais pour calibrer l'appareil, occasionnant plusieurs chocs électriques de faibles intensités avant de passer aux réponses cérébrales et aux réflexes. - « La prothèse va diffuser un anesthésiant léger le temps que tu t'habitus à l'avoir, tout a été dosé et prédéfinis, tu n'as pas à t'en occuper. » - J'acquiesce pendant qu'il va vers la porte et me concentre à nouveau sur Matty qui reprend doucement conscience du monde réel alors que le calmant semble s'estomper. - « La greffe s’est passée sans problème. Il n’aura plus qu’à faire un peu de rééducation pour s’habituer à la prothèse, mais ça ne devrait pas spécialement poser de problème. »

« Alors ce bras ? » - Je tourne la tête vers Aidan qui revient enfin parmi nous mais c'est Matty qui prend la parole d'une voix tout de même usée. - Je suis un Na'vi! - Lorsque je pose mon regard sur lui, je vois son bras auréolé de teintes bleutés et seulement quatre doigts à sa main, et j'étouffe un rire nerveux. - « Au moins, ça fonctionne. » - C'est génial, mais soyons clair, voir un bras alien bleu rattaché au reste de son corps, c'est super flippant. Mais c'est super génial.

Merci, merci, la bise et bonne nuit, nous sommes tout de même reste presque deux heures de plus pour que Hank puisse perfectionner ses calibrages et également permettre à Matty de tester son nouveau bras en pouvant poser ses questions directement et finalement, une fois prêt, nous avons pris la direction de la sortie. Nous avons remercié et laissé Hank au sous-sol et avons été raccompagné par mon bon guide Aidan. - Oh bah soit pas triste, je reviendrais. - En réalité, je suis sûr qu'il est bien content d'être enfin débarrassé. - Tu dois encore me faire visiter le parc et le domaine, crois pas que je vais oublier. - Et après des adieux dignes et sobres, nous voilà disparu dans un coup de vent. Parce que drama effect.